Quelques heures après le dénouement du procès, quelle lecture faites-vous de ce verdict ?

D’abord, c’est un verdict motivé. Euh… La cour d’assises acquitte AKM pour la complicité d’assassinat et le retient dans les liens de la prévention pour l’association de malfaiteurs, en dépit de ce que demandait l’avocat général et les parties civiles. Moi, je savais qu’il n’y avait aucune preuve de la complicité d’AKM. L’association de malfaiteurs, c’est un peu plus complexe, parce que c’est une infraction que les juristes qualifient d’infraction fourre-tout.

20 ans

20 ans. Et j’avais dit d’ailleurs en plaidant que c’était une session de rattrapage. Et ce qu’il faut que vous sachiez c’est que l’association de malfaiteurs terroristes a été notifiée à AKM après la clôture de l’instruction, sur ce que l’on appelle un réquisitoire supplétif. Et ça signifie peut-être, mais alors ce serait grave, que les juges d’instruction ont senti, ou savaient, ou pressentaient, ou subodoraient, qu’il n’y avait pas de preuve pour la complicité d’assassinat.

Dites-nous ce que vous entendez exactement par rattrapage. C’est-à-dire, on ne peut pas, on n’a pas assez de preuves pour le condamner, mais il faut malgré, pour la première, pour la complicité d’assassinat, mais il faut malgré tout le condamner, donc on atterrit sur, euh, ce que vous appelez ce, ce, ce fourre-tout. C’est ça le rattrapage ?

C’est un peu ça oui, c’est par excellence l’association de malfaiteurs une infraction dont se méfient tous les juristes. Qu’est-ce qu’on y a mis là-dedans ? On y a mis, euh, son appartenance à une mouvance islamiste, ce qui d’ailleurs n’était pas contesté et n’était pas contestable, et c’est à peu près tout ce que l’on peut y mettre.

Y’a des documents, enfin euh, sinon, sinon il faut dire qu’il a été victime d’un déni de justice ou d’une injustice, Me Dupont-Moretti. S’il n’y a à ce point rien dans le dossier.

Nan, c’est plus compliqué que ça, Monsieur. Euh, y’a tout le débat sur les fichiers, par exemple que vous évoquiez. Est-ce que l’on peut détenir des fichiers islamistes en France ? Y’a tout un débat, au point que, d’ailleurs, on a failli envisager la création d’une infraction et que le Conseil Constitutionnel a dit : « Mais on ne peut pas, pour des raisons de liberté publique, envisager que cela devienne un délit. » Non, c’est très compliqué tout ça.

Mais, est-ce que

Soit, soit

pour finir

pardonnez-moi
est-ce que

attendez

pour finir un innocent

attendez, Monsieur Demorand

est-ce qu’un innocent

Monsieur Demorand

a été condamné d’après

Non, Monsieur Demorand

vous ?

Pardonnez-moi,

Maître, Maître, est-ce qu’un innocent a été condamné

Monsieur Demorand

d’après vous ?

Jvais, jvais répondre à votre question. Euh, c’est la première fois que je prends la parole dans cette affaire

Hmm.

depuis plus de cinq ans. Si vous me demandez de résumer cette affaire en trente secondes, c’est pas possible. Alors, je suis venu ici parce que je sais qu’on n’est pas dans l’immédiateté que choisissent certains médias.

Je vous en remercie, on est ensemble jusqu’à 9h.

Je vous en prie. Je pense que s’agissant de la complicité d’assassinat, on a présenté aux victimes depuis des années, et pour des tas de raisons, un faux coupable. Euh, je dis, je pense, et j’ai affirmé qu’AKM se trouvait dans le box parce que son frère s’est fait tué. Ensuite

Coupable de substitution

Ensuite

Accusé de substitution

Ensuite, ensuite, il y a des comportements, une appartenance à une mouvance, une identité idéologique entre les deux frères, qui fait que, vous le comprenez, les choses ne sont pas simples. AKM, que j’ai eu l’honneur de défendre, incarne

l’honneur

l’honneur, Monsieur, incarne aujourd’hui le mal absolu dans notre époque qui est marquée du sceau terrifiant des attentats islamistes radicaux.

Pourquoi l’honneur ? C’est votre boulot c’est, c’est pas

C’est pas mon boulot

quelque chose

Nan

dans lequel on se drape

Pardonnez-moi, c’est pas qu’un boulot, c’est une idée que l’on se fait du métier d’avocat. L’honneur, parce que je suis avocat et que j’ai défendu cet homme, seul contre tous, dans un contexte délétère, extrêmement difficile. Si vous me permettez cette expression triviale, j’en ai pris plein la gueule.

Vous en avez mis aussi, hein…

Pas de la même façon. Moi, je n’ai pas dit à mes confrères de la partie civile qu’ils étaient indignes d’être avocats, je ne leur ai pas dit qu’ils étaient le déshonneur du barreau, je ne leur ai pas dit qu’ils étaient la honte de la profession qui est la nôtre.

On, on va y venir en détail, vous avez dit, Eric Dupont-Moretti, il y a beaucoup, beaucoup de choses et beaucoup de sujets à aborder ensemble. Je vous repose la question de savoir si votre client, AKM, a été victime d’un déni de justice ou d’une injustice.

Monsieur, jvous

Est-ce que 20 ans

Monsieur

pour ce que vous avez décrit, des fichiers dans un ordinateur, mais laissez-moi vous poser une question

Laissez-moi, mais, laissez-moi vous répondre, jvous ai déjà répondu, Monsieur

Non, mais est-ce que 20 ans

Monsieur

c’est trop pour des fichiers d’ordinateur ?

Mais c’est une très lourde peine, c’est le maximum de la peine, c’est le maximum de la peine pour association de malfaiteurs, une association de malfaiteurs intrinsèquement discutable, parce que, je le redis, c’est une infraction dans laquelle… C’est une infraction qui a été créée à la fin du XVIIIème siècle pour réprimer les anarchistes, puis elle a été reprise, notamment par Pierrefitte ( ?), tous les juristes, toute la communauté des juristes disait : « Mais, on y met tout et n’importe quoi. » C’est une entente en vue de préparer une infraction caractérisée par un acte matériel, avec ça vous allez loin, voilà la définition de l’association de malfaiteurs. Donc bien sûr, Monsieur, que, bien sûr que nous avons contesté l’association de malfaiteurs, mais en même temps, je ne peux pas ne pas retenir que la cour d’assises a dit non à la complicité d’assassinat et qu’elle a motivé. Je vais vous expliquer quelque chose : aucune des parties civiles, je dis bien aucune, n’a plaidé le fond du dossier. Le ministère public l’a fait dans des conditions discutables, la défense a repris tous les éléments du dossier et la cour a motivé. Et j’ai dis que c’était l’honneur des juges que de ne pas avoir cédé aux sirènes de l’opinion publique, et je le redis ici.

Est-ce que vous allez faire appel ?

Il faut que je voie AKM, il faut qu’on en discute, il faut qu’on voie si le parquet général fait appel. Ce que je crois savoir, c’est que son co-accusé a d’ores et déjà annoncé qu’il interjetait appel, je pense qu’on s’oriente vers un deuxième procès, oui.

Hmm hmm. Euh, qu’est-ce que vous chercheriez à démontrer avec un appel ?

Mais, Monsieur, moi je suis toujours sur la même ligne. Je voudrais, pardonnez-moi de vous le dire, qu’on évoque le contexte de ce procès, qui pose la question de la place de la victime dans le procès pénal, du poids de l’opinion publique, de l’image de l’institution judiciaire, et de la façon dont le terrorisme nous a anesthésié. Je voudrais aussi qu’on parle de ça et c’est pour ça que je suis ici. Qu’est-ce que j’attends, Monsieur ? La même chose. Moi, je suis le seul, nous sommes les seuls en défense à nous être délibérément placés sur le terrain probatoire, de la preuve. La question c’est : est-ce qu’un type, qui incarne le mal absolu, par les temps qui courent, peut se voir condamner au bénéfice du doute ? C’est la seule question. Et bien sûr que si nous avons un deuxième procès, nous redirons les mêmes choses, et l’association de malfaiteurs en droit et en fait est discutable. Les juges, sur ce terrain, ne nous ont pas suivi, ils ont motivé leur décision, elle ne nous convainc pas, mais pour autant ils ont fait au moins l’effort de motiver.

Est-ce que vous avez parlé à votre client, depuis le verdict, Eric Dupont-Moretti ?

Non, on s’est entretenu quelques secondes, c’était dans un tel climat que c’était pas le lieu et il faut évidemment que ces choses se fassent dans la sérénité, on peut pas, on peut pas en deux secondes, lui dans le box et moi, à ma place d’avocat, évoquer toutes ces choses, commenter, disséquer, il faut un peu de temps pour tout ça.

Qu’est-ce que euh, comment avez-vous vécu ce procès ? Vous disiez que ça avait été un moment de grande violence.

C’est le procès le plus difficile de ma carrière.

Pourquoi ?

D’abord parce que j’ai été insulté, parce que euh on a menacé mes enfants, parce que euh la police s’est retranchée derrière un rideau, 14 policiers, un ou deux sont, ont eu le courage de, de témoigner à visage découvert, et les autres n’ont pas voulu le faire en nous indiquant que c’était parce que leur hiérarchie leur avait demandé… Il y avait une espèce de, de présentation assez spectaculaire, d’une dramaturgie qui était voulue. Parce que euh, certains de mes confrères de la partie civile ont été dans la surenchère médiatique. Euh, j’ai entendu, comme questions de la part de certains de mes confrères : « Monsieur Merah, êtes-vous circoncis ? » « Je constate, Monsieur Merah, que quand vous vous levez vous vous tournez vers la Mecque », ce qui fera dire au Président de la cour d’assises « mais pas du tout, il se tourne vers la cour », « je constate Monsieur Merah que vous avez levé le doigt, ce qui est le signe de votre appartenance à un islamisme radical », « je constate Monsieur Merah que vous avez regardé vos avocats », donc quand il lève le doigt, quand il baisse les yeux, c’est un signe de culpabilité, euh, Merah a été traité d’animal… On peut ne pas l’aimer, hein, je l’entends bien. Mon but c’était pas de le faire aimer, c’était qu’il soit jugé selon nos règles. Mais j’ai revu le procès de Nuremberg, et je trouve qu’il a été d’une certaine façon plus digne. D’abord, on n’a pas discuté la présence d’un avocat.

Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Bah d’abord, on n’a pas discuté la présence d’un avocat aux côtés des accusés, et il y a pas eu ces excès

Pourquoi, pourquoi Nuremberg ?

Parce que ça a été évoqué par les parties civiles à de très nombreuses reprises. Nuremberg et Eichmann, c’est deux références qui ont été utilisées par les parties civiles, et Monsieur, je dois vous dire qu’il y a des choses qui sont insupportables. Savez-vous que l’on m’a reproché, et ça m’émeut beaucoup, que j’ai pu dire à un moment, après trois heures d’interrogatoire de la mère Merah, dont on savait qu’elle avait menti, mais copieusement menti, j’ai dit à un moment : « Mais, euh, elle a aussi un fils qui est mort. »

Hmm, vous l’avez dépeinte en mater dolorosa.

Non non, pas du tout. Ça c’est vous qui le dites, ce ne sont pas mes mots.

Non non, mais oui c’est mes mots

Non mais

et je

je je

je les revendique hein, y’a pas de problème

je je. D’abord je l’ai pas dépeinte, j’y ai pas passé beaucoup de temps, j’ai seulement dit qu’elle était là pour trois heures, qu’on savait parfaitement qu’elle avait menti… Enfin, trois heures pour elle, vingt minutes pour Squarcini, il y a quand même un petit problème. Il y a un moment, j’ai dit : « Mais enfin, elle a quand même perdu un fils, l’autre est en taule, et la fille est partie

Vous trouvez pas ça obscène, de le dire comme ça ?

Pourquoi, c’est pas une mère ?

Devant, euh, devant les familles de, de victimes ?

Monsieur Demorand, je sais pas si vous pensez réellement que c’est obscène, ou si vous me posez la question pour me provoquer, mais je voudrais vous dire quelque chose. Le chagrin des victimes

Je pense sincèrement que c’est obscène.

D’accord, alors je vais vous répondre. Le chagrin des victimes ne peut pas être confiscatoire. Euh, une mère, voyez-vous, même si elle met au monde un enfant qui est le dernier des derniers, peut avoir de la peine. Et que vous ne compreniez pas ça, ça m’étonne beaucoup. Ce qui est obscène, c’est de dénier à cette femme le fait qu’elle soit une mère. C’est pas une vache qui a vêlé, Monsieur.

Jamais dit ça

Votre question est obscène. Et je pensais pas que vous me la poseriez.

La réaction des parties civiles en entendant ça, vous la classez aussi dans l’obscénité ?

Pas du tout, Monsieur, les parties civiles, les victimes

Alors pourquoi moi et pas eux ?

Je vais vous dire pourquoi, parce qu’eux ont tous les droits, ils sont dans le chagrin. Vous,

Hmm, mais j’ai le droit de vous poser des questions.
Mais bien sûr Monsieur, mais vous vous êtes un commentateur, vous devez regarder les choses

Intervieweur, je pose des questions

Peut-être, intervieweur, commentateur, pardonnez-moi je ne connais pas les termes techniques, mais vous vous devez avoir du recul, comme les juges doivent avoir du recul, comme les avocats doivent avoir du recul. Mais les familles qui ont vécu dans leur chair ce, cet immense chagrin, ont tous les droits. Ils ont le droit Monsieur, ils ont le droit, de vouloir, euh, qu’AKM soit coupé en morceaux, parce qu’AKM a été désigné comme l’artisan de leur malheur. Mais que les journalistes, que les avocats, que les juges puissent à ce point ne retenir que le chagrin des victimes à l’exclusion de tout autre, que cela balaye la charge de la preuve, ça c’est insupportable. Et je vais vous dire une chose

On est assez structurés, Maître

Msieur Demorand

on est assez structurés

Msieur Demorand

pour pouvoir penser les deux

non non mais, Monsieur Demorand

on est assez structurés pour pouvoir penser

je suis

le, le chagrin

oui

et euh, les preuves

Oui oui, Monsieur, je vais vous dire quelque chose. Madame Merah, quand elle a mis son enfant au monde, bah elle a mis un enfant au monde. Et il s’avère que cette femme peut avoir de la peine, voyez-vous.

Méchant

Et dénier ça

vous êtes méchant

nan nan, Monsieur,

vous êtes méchant, a dit le frère d’une victime, Maître Dupont-Moretti.

Non mais, je suis méchant, je suis un

Vous êtes méchant, c’est c’est c’est pas mes mots, peut-être que ceux-là vous les trouverez obscènes

nan nan, mais

ce sont des mots d’une simplicité biblique ose ose oserais-je dire

Monsieur Demorand, je viens de vous expliquer, mais vous ne m’écoutez pas, vous avez décidé de ne pas m’entendre

Si, je vous écoute

et franchement je regrette presque d’être ici. Voyez-vous, Monsieur, que les victimes ne comprennent même pas qu’AKM puisse être défendu, j’en accepte l’augure. Et d’ailleurs, j’ai dit en plaidant, euh, il y a ici un témoin de cela, que je savais par avance que tous les mots que je prononcerai pour lui seraient une blessure, pour les victimes. Mais pas vous, Monsieur Demorand, pas vous. Si vous déniez à cette mère le fait d’être une mère, alors…